Enchaînements Exquis
Un blanc est-il nécessairement un espace à remplir ? C’est en tous cas un espace d’articulation pour Clément Fourment qui de la page au lieu d’exposition joue de ces blancs pour développer ses récits au rythme d’associations libres. Un dessin en appelle un autre et c’est sans doute le leporello, ce livre qui se déplie sans jamais préparer le lecteur à ce qu’il va voir ensuite qui permet le mieux d’appréhender la façon de travailler de l’artiste. Sur la forme, nous ne sommes pas très loin du cadavre exquis, ce jeu surréaliste où les dessins se succèdent à l’aveugle au fur et à mesure de pliages pour finalement provoquer la surprise. Dans son processus, l’artiste ménage cette spontanéité, cette part d’étonnement au moment de découvrir l’image d’ensemble. Dans les détails, parfois très précis, l’impression de déjà-vu n’est jamais loin alors que l’artiste travaille avec des sources iconographiques variées et à la portée de tous. Il est bien sûr question d’inconscient mais aussi de récits collectifs puisqu’il s’agit de rendre leur spontanéité à des éléments d’une culture commune et de les réinventer en faisant confiance au regardeur. L’attachement aux textures fait appel à une lecture sensible qui nous permet de nous raconter autrement les images, comme la possibilité de développer d’autres narrations, de ménager plus de liberté.
Fernand Khnopff qui travaillait aussi l’art de l’association dans ses dessins et pastels où il pouvait en une Caresse associer le corps d’un guépard et la tête d’une femme s’était servi du volume et de l’assemblage pour alimenter sa technique. Une sculpture d’Hypnos, dieu du sommeil, lui ouvrait ainsi par ses ailes les portes du rêve et une voie entre symbolisme et spontanéité. Clément Fourment, en passant aux pastels, en changeant le dessin de dimension et de mode d’accrochage pour entrer dans l’espace brouille encore davantage les pistes. Dans l’exposition Mondes Parallèles qu’a proposé l’artiste au Silo U1 (Chateau Thierry), l’expérience est physique : entre les panneaux en 2D le regardeur se fait visiteur d’un espace imaginaire qui joue du trompe l’œil sans jamais tout à fait s’y conformer Aux côtés des effets de matières, la surface lisse de l’aluminium révèle l’artifice et se fait miroitant. Nous sommes dans un espace de théâtre où la lumière se réfléchit et nous place sur le fil d’une fiction, jouant autant de l’endroit que de l’envers ; de l’impression parfois de passer de l’autre côté du miroir. L’artiste prise la métonymie, c’est-à-dire la faculté de signifier le tout par une partie. Une aile est ainsi tout l’oiseau, toute sa capacité de vol matérialisée dans l’espace et en même temps la menace de voir un rapace fondre sur soi. Le verso découpé de serres fait planer le reste de la menace. Un faisceau de signes concentre un art de la suggestion. Le dessin pour Clément Fourment est toujours mise en abyme, aussi bien le moyen de dessiner que d’affirmer dans le dessin un lieu pour établir d’autres relations avec des images parfois choquantes. Une façon de sortir d’un état médusé.
Henri Guette, 2022
Commissaire et auteur
Commissaire et auteur
Stratus
Clément Fourment est un virtuose. Ses dessins au graphite, à la pierre noire, au fusain, à la mine de plomb élèvent ses puissantes fantasmagories, ses percées mythologiques et ses aventures oniriques au rang d’œuvre d’art. Elles ont été saluées par l’Académie des Beaux-Arts qui l’a récompensé, en 2018, du Premier Prix du dessin Pierre-David Weill pour un impressionnant leporello de cinq mètres de long. Il a également été pensionnaire de la prestigieuse Casa de Velázquez, à Madrid, de 2019 à 2020. Il y a créé, entre autres, des dessins au pastel noir en écho aux treize « Peintures noires » que Goya peignit entre 1819 et 1823 sur les murs de sa maison. Clément Fourment ne fait pas de la virtuosité son but. Loin de là. Son art est aiguillonné par un désir d’inconnu et par une quête passionnée de la matière : « Ce sont les techniques qui me font aller vers les sujets », dit-il. En lui confiant les murs de son « laboratoire » dénommé côtéCour, L’H du Siège lui offre l’occasion d’un expérimentation et d’une avancée nouvelles sous la forme d’une vaste peinture murale peinte à l’acrylique et en couleurs. « Stratus » (2023), c’est son titre ; c’est le nom d’un nuage gris très étendu. L’œuvre a bien sûr été réalisée in situ mais, contrairement à une fresque stricto sensu, elle n’est pas une œuvre pérenne, prise dans le frais de l’enduit des parois. Toutefois l’esprit de la fresque — telle que réalisée, par exemple, sur les murs des villas de Pompéi dans l’Antiquité ou, à la Renaissance, sur les plafonds du Palazzo Te de Mantoue — est présent ici dans les gestes et dans les mises en perspective. Dans l’amplification des formes aussi. Mais surtout dans les couleurs : « Le sujet ici, c’est la couleur, dit le peintre. Je privilégie pour ‘Stratus’ l’application de la matièr plutôt que l’élaboration de la narration. A l’inverse du dessin où la lenteur, le souci du détail et la réflexion rythment la création, je m’appuie pour cette peinture murale sur l’intuition, la concision et la résilience. » L’artiste s’appuie aussi sur le dialogue avec les artistes du passé et sur l’histoire de l’art car ces relations sont fondamentales pour lui. Pour « Stratus », il y les fresquistes italiens et leurs effets d’horizon mais il y a surtout la manière dont Vincent Van Gogh a donné à la couleur sa liberté. Il a refusé de la circonscrire. Il lui a donné sa puissance de mouvement. « Champ de blé sous des nuages d’orage » (1890) est l’une des dernières toiles qu’il ait peintes. Elle est l’arrière-pays de « Stratus ». Dans l’outremer et le bleu de Prusse, les nuages blancs voguent sur les verts ondoyants du champ. L’ombre de l’orage s’étend. La toile est vivante. « Stratus » ajoute aux nuages et à la couleur des envolées de pages blanches. Elles prennent les airs comme autant de promesses d’œuvres à venir. « L’espace saisi par l’imagination ne peut rester l’espace indifférent livré à la mesure et à la réflexion du géomètre. Il est vécu, écrit le philosophe Gaston Bachelard. Et il est vécu, non pas dans sa positivité, mais avec toutes les partialités de l’imagination. En particulier, presque toujours il attire. Il concentre l’être à l’intérieur des limites qui le protègent. » La liberté d’imagination convie le regardeur à l’intensité du sentir. Différemment de la narration du dessin, la matière de la peinture, son abstraction aussi, invitent les mouvements de l’âme à s’engager dans des parcours singuliers et des rêveries intimes. Le visiteur est pris dans un monde où le peintre s’est parfois perdu : « L’étendue et la rudesse du support m’obligent à m’assumer et à accepter l’erreur », dit Clément Fourment. L’erreur peut initier la voie du cœur. Cette voie est primordiale comme le dit un artiste cher à Clément Fourment, David Hockney : « Les Chinois disent qu'il faut trois choses pour peindre : la main, l'œil et le cœur. En avoir deux ne suffit pas. Une bonne vue et un bon cœur ne suffisent pas. Pas plus qu'une main experte et une vue perçante. » Les murs de côtéCour auront permis à Clément Fourment d’accorder main, œil et cœur à la vitalité de la couleur.
Annabelle Gugnon, 2023
Critiique d’art et Psychanaliste
Critiique d’art et Psychanaliste